Le cadeau

 

La route est longue et monotone. Impossible pourtant de détacher mes yeux de ce paysage désolé et de ces amoncellements de rochers qui s'étendent sur des kilomètres de chaque côté de la route. En franchissant le fleuve qui sépare les deux pays, je pénètre dans un autre monde. La route musarde alors dans une succession de vallées et de cols, surplombant les alignements réguliers des oliviers qui dessinent des ondes fluctuantes et gracieuses, comme les courbes de terrain sur une carte, mais avec plus de fantaisie.

 

Je fais une courte pause dans la première bourgade rencontrée. Il y a plusieurs jours que je n'ai pas croisé une seule façade à photographier mais, ici, parmi les maisons qui s'alignent autour de la petite place, j'en aperçois d'emblée cinq ou six qui justifient que je m'attarde un peu. Pourtant, je ressens comme un malaise. Les façades ont beau être décrépies, les fenêtres partiellement cassées, les rideaux déchirés, les volets vermoulus et à moitié fermés, quelque chose me dit que ces maisons ne sont pas inoccupées.

 

Je retrouve cette même impression le lendemain matin, en traversant un village qui s'étend sur près d’un kilomètre le long de la route, coincé entre le fleuve et la montagne. J'y fais halte en proie à une forte excitation, comme si je venais d'apercevoir un trésor à ma portée, car presque toutes les maisons méritent d’être photographiées. Tandis que je m'affaire, je me rapproche de l'une d'entre elles. A ma grande surprise, une jeune femme en sort les bras chargés. Il s'agit en fait d'une petite épicerie de village, ce qui sous-entend que des habitants et pas seulement des vieux vivent ici, oubliés du reste du monde. Je poursuis consciencieusement mes prises de vues. Deux autres personnes me croisent. Elles ne me regardent pas, me prennent peut-être pour un employé de l'administration venu faire un état des lieux. Mais elles savent sans doute qu'elles n'ont rien à attendre de « ceux d’en haut ».

 

 

A eux seuls, ces deux villages m'ont offert près du quart des photos qui figurent maintenant dans ma sélection finale d’une quarantaine au total, glanées pourtant dans toute l'Europe.