Sur la Route des cimetières de l'Est

Sur ma route, j’ai aperçu de minuscules cimetières  de villages, accrochés à leur colline, d’autres qui cachaient l’équilibre précaire des tombes au coeur d’une verdure protectrice ou bien entouraient de petites églises solitaires, épargnées par le temps.

 

Et puis dans une capitale européenne baignée  par le Danube, il y a ce grand cimetière. La monumentale chaussée principale et les allées qui s’y greffent dessinent une arborescence rationnelle, mais plus le visiteur s’en écarte, moins le plan de  circulation respecte des  règles strictes.

Le plus surprenant, ce sont les grands espaces presque vides parsemés de petits ilots : ici, trois tombes côte à côte, là cinq autres. Chacun des défunts s’est choisi un emplacement, qui à proximité d’un ancien voisin, qui plutôt isolé, afin de méditer éternellement sur la vanité des vivants. D’autres ont choisi de s’installer auprès de collègues et ils profitent de leur temps libre pour faire la connaissance d’artistes de la même discipline, des peintres, des musiciens, des écrivains, dont la gloire les a précédés.

 

Plus loin…

Au bout d’une autre route

Après d’autres gares,

Au delà d’une autre frontière,

 

j'ai aimé ce cimetière installé à flanc de coteau. De grands arbres centenaires contribuent à rompre la monotonie d’alignements qui s’adaptent déjà aux courbes du terrain. Ses créateurs anonymes ont ménagé, ça et là, des petites places ombragées, agrémentées d’un banc ou deux.

Les visiteurs s’y installent un moment. Certains parviennent sans doute à entrer en contact avec leurs proches disparus, comme s’ils retrouvaient pour quelques instants, une intimité trop tôt brisée. Le défunt en profite alors pour demander des nouvelles d’un ami qui repose un peu plus bas et le vivant propose  d’aller  se  renseigner. Il s’installe sur le banc d’une autre petite place et y reste le temps qu’il faut. « Tibor vient de terminer les vendanges plus tôt que prévu » ou bien,
« La fille de Romana n’est toujours pas mariée », annonce-t-il à son retour.

 

Malheureusement,

j’ai oublié le nom de la ville où j’ai découvert ce cimetière idéal et peut-être ai-je tout simplement associé plusieurs cimetières dans cette description fixée par ma mémoire. Je ne suis même pas certain du pays et il me faudra donc renoncer à y solliciter une place. Alors il me reste une dernière solution :

 

Continuer à voyager !

 

Passons sur la formalité de la crémation !

Ce que j’aimerais, c’est que quelqu’un se charge d’emporter les cendres jusqu’à Donaueschingen, dans la Forêt-Noire, et les confie au fleuve le plus européen, celui qui traverse le continent d’ouest en est. Tandis que je ferais la planche avec insouciance, bien que légèrement morcelé, je tenterais mollement de freiner le courant, afin de dériver de droite à gauche, pour saluer une  dernière fois mes amis, répartis le long des deux rives du Danube, ce fleuve aux multiples noms. Il n’est pas certain qu’ils parviennent à me reconnaître et peut-être serai-je déjà passé.

Ce sera un jeu !

 

L’un d’eux, croyant m’apercevoir le long du quartier des pêcheurs, à Ulm, s’empressera d’envoyer un SMS à ceux de Regensburg

et ainsi de suite,

de Passau à Vienne, des ponts de Budapest à la plage de Novi Sad, puis aux Portes de Fer, jusqu’à ce qu’un inconnu, un pêcheur, ou bien un amateur d’oiseaux, un photographe, par exemple, quelqu’un que j’aurais pu rencontrer si le temps ne m’avait pas manqué, me repère dans un des innombrables bras du delta, juste avant que je rejoigne la Mer Noire et que je m’y installe définitivement.

Alors, oui, on pourra parler de…

 

mon  « grand voyage ».